
15 Novembre 1997-15 Novembre 2020 23 ans déjà …
Voici le travail d’un proche de Djobo Boukari, El Hadj Abdou-Raouf Issaka-Toure. Notre Rédaction vous permet de rendre veritablement un hommage à NOTRE DJOBO BOUKARI
BOUKARI DJOBO,
Le talibé (almaaziri) devenu homme d’Etat.
La vie d’un homme comme Boukari Djobo ne peut se résumer en quelques lignes sur les réseaux sociaux.C’est pourtant le tour de force que je me suis imposé pour vous présenter ce grand homme tem. Si ces « quelques lignes » vous paraissent encore longues, je m’en excuse ; je n’ai pas pu faire autrement.
Boukari Djobo est-il né à Sokodé (Tchawanda) en 1936 ? La date de naissance n’est pas importante. En effet, comme pour tous les scolarisés de son temps c’est l’administrateur français, en l’occurrence M. Emile Chautard, qui en a décidé. Tous les enfants recrutés pour entrer à l’école française en 1942 sont nés en 1935 ou en 1936. Boukari aurait pu être né plus tôt ; cela n’a aucune importance. Le lieu de naissance précis par contre demande réflexion et comme de son vivant je ne m’étais pas posé cette question et ne l’avais pas posé avant le décès du grand homme, me voilà totalement désemparé. En effet, si nous admettons que les Kpandi ne sont revenus à Tchawanda qu’au moment du regroupement de villages sur les grands axes ordonné par le colonisateur (fin des années 1930-début des années 1940), Boukari n’a pu être né qu’a Tchawourondèè. Le fait que mère Médina (sa mère) soit du village voisin de Koolina conforte cette hypothèse.
Taayirou Djobo, un des innombrables oncles de Boukari Djobo, le premier islamisé de la famille, avait décidé de quitter Sokodé pour aller s’installer au Togo britannique (Hohoy, Papassi ?) pour faire du commerce et parfaire ses connaissances islamiques. Son aîné, Alassani qui sentait déjà l’appel de l’islam, lui demanda de prendre son fils Boukari avec lui pour lui faire apprendre le Coran et l’islam. Vers 1940 l’oncle Tayirou estimant avoir mobilisé assez de ressources pour effectuer le pèlerinage à la Mecque revint à Sokodé pour en informer la famille et lui laisser son protégé. Il était trop petit pour pouvoir le suivre dans sa grande aventure mecquoise. Il était entendu qu’à son retour il le reprendrait pour retourner au Togo britannique. Malheureusement, l’oncle Taayirou ne reviendra pas. Il mourut sur le chemin de retour et Boukari restera comme une patate chaude, avide du savoir, dans les mains du père Alassani. C’était l’époque où les administrateurs coloniaux de chaque cercle avaient l’obligation de résultat dans la scolarisation. A défaut d’apprendre le Coran avec son oncle Boukari ira à l’école française.
Tout comme le mien, le père de Boukari pensait que, comme à l’école coranique, les enfants pouvaient commencer l’école à n’importe quel moment de l’année. Voilà pourquoi Boukari arriva au CP1 de maître Sinzogan au mois de Mars 1942. J’y étais depuis Janvier de la même année. Il dut donc refaire le CP1 l’année suivante. Après un parcours à pas de charge à l’école primaire, Boukari entra en sixième au Collège moderne de Sokodé en Octobre 1948, dans la deuxième promotion qui ne comptait que 21 élèves. L’esprit contestataire inné de ce brillant élève inquiétait déjà la hiérarchie et les enseignants de cet établissement. En classe de quatrième, pour s’opposer au bizutage sauvage dont sont victimes les nouveaux, il créa le SPO, entendez le Secours au Peuple Opprimé, formé de solides gaillards chargés de défendre physiquement tout enfant agressé par un ancien. Un ancien membre du SPO est encore en vie. C’est aussi en quatrième qu’il forma un conseil des sages chargé de sévir dans ses propres rangs pour les fautes qui pourraient entraîner une sanction collective à toute la promotion.
Au B.E. (Brevet Elémentaire) en 1952, un seul élève sur sept fut reçu et admis d’office en classe de seconde à Lomé. Boukari fut recalé en maths par un examinateur qui avait dirigé l’Ecole Régionale de Sokodé avant 1941 et dont je tairai ici le nom. Dès qu’il lut le nom du candidat, ce triste sire s’écria : « Ouro Djobo ! C’est vous les féodaux du nord ». La suite de l’examen oral était prévisible. Boukari et ses cinq compagnons de misère dont l’un (Baëta Benjamin) vient de disparaître cette semaine, n’étant pas admis en seconde alors que certains d’entre eux avaient la moyenne pour passer en classe supérieure, devraient quitter le Collège moderne de Sokodé et évacuer son internat. Mais sur l’initiative de Boukari ils écrivirent au leader de l’opposition ( Sylvanus Olympio) à l’Assemblée Représentative Togolaise (ART) pour présenter leur cas aux honorables délégués. Le reçu de leur lettre recommandée se trouve encore aujourd’hui dans les affaires de Boukari. Cette action permit à ceux qui avaient la moyenne parmi eux d’être acceptés en seconde à Lomé.
Pour lui comme pour tous ses camarades, le second cycle du secondaire fut un parcours délicat dont ils se souviendront, tant la sévérité de la direction ( Proviseur : M. Déléris ; Surveillant général : Monas) était pesante. Boukari s’exclamait chaque fois qu’il ressentait une frustration : « Ici on marche sur des œufs ! ». Les causes de cette atmosphère délétère étaient à trouver dans l’année scolaire précédente. Pour avoir trouvé le mot « Ablodé » écrit sur un mur du lycée, tout l’établissement fut évacué nuitamment par les forces de l’ordre et tous les « meneurs » (souvent les meilleurs élèves) furent renvoyés. Boukari expliquait ainsi son comportement plutôt modéré: « A quelques années d’obtention automatique d’une bourse d’étude en France, ce serait suicidaire d’engager un combat contre cette direction colonialiste, combat dont l’issue ne pourra que nous être fatale ». Boukari se consacra donc à ses études qui seront couronnées en 1955 par un succès au baccalauréat série Sciences Expérimentales.
Il obtint une bourse pour aller étudier le droit à Dakar. Le choix de ce champ d’étude n’était certainement pas fortuit. Il était en droite ligne des convictions du personnage. Pour lui, défendre et se défendre par la loi est l’œuvre la plus exaltante de la vie. C’était en quelque sorte la continuation du SPO. Il passera une année seulement à Fann et ira continuer ses études de droit à Bordeaux et à Paris. Au cours de ses études supérieures Boukari était surtout connu pour son militantisme estudiantin et politique. Il avait présidé le “Jeune Togo” en 1958 et en 1959 et était membre de la FEANF (Fédération des Etudiants d’Afrique Noire Française). Il avait aussi adhéré au PAI (Parti Africain de l’Indépendance) de Madjmouth Diop. Au début de l’année scolaire 1959-1960, sur la demande du gouvernement, Boukari entra à la section « Planification économique» de l’ENFOM (Ecole Nationale de la France d’Outre-Mer), école autrefois chargée de former les administrateurs coloniaux, maintenant en pleine mutation dans le but de former les cadres africains pour l’Afrique indépendante. Il en sortira après deux ans et sera versé automatiquement dans l’embryon de l’actuel service du plan, autrefois rattaché à la Présidence de la Répubique et dirigé à l’époque par un Allemand, Prof. Dr von Mann.
Djobo Boukari Repose en Paix.